Une Constitution révisée... sinon rien !
Une Constitution révisée… sinon rien !
par Xavier Philippe
Professeur à l’Université Paul Cézanne – Aix-Marseille III
Directeur du GERJC – Institut Louis Favoreu, CNRS UMR 6201
La vingt-quatrième révision de la Constitution de 1958 a donc été adoptée par le Congrès réuni à Versailles le 21 juillet 2008… ! Que retiendra l’histoire de cet évènement qui fût plus médiatisé par le risque d’échec du processus de révision que par la substance du texte révisé ? Probablement peu de choses… Il fût d’ailleurs très vite éclipsé de l’attention du grand public par un autre évènement tout aussi - si ce n’est plus - médiatique : l’arrestation de Radovan Karadzic ! Il n’est cependant pas certain, comme l’ont souligné un certain nombre de commentateurs, que cette réforme soit aussi anodine que cela, ne serait ce que par le nombre d’articles modifiés. Bien malin qui pourrait aujourd’hui parier sur l’ampleur des mutations opérées par cette révision ! Mais, soyons honnête, il est un peu trop tôt pour le dire… Sans vouloir remettre en cause ce qui a été dit ou écrit, l’évènement nous a inspiré quelques réflexions de bon sens et remises en perspective empruntées à l’histoire ou à la géographie qui permettront peut être de recadrer le débat sur cette révision un peu plus sereinement.
En premier lieu, ce n’est pas la première fois qu’un texte constitutionnel est adopté à une courte majorité ! … La troisième République, à travers « l’amendement Wallon », l’avait été à une voix
de majorité. Elle fût pourtant la plus longue de notre histoire constitutionnelle… et personne ne s’est soucié tout au long de son existence de savoir qui s’était manifesté en faveur ou contre le
texte. Cela n’augure en rien de l’efficacité ou des effets concrets de la réforme opérée. De ce point de vue, les critiques formulées à l’égard des conditions d’adoption du texte sur l’efficacité
de sa mise en œuvre apparaissent historiquement douteuses. Plus près de nous, la révision de la Constitution de 1958 adoptée en 1974 qui avait permis l’ouverture de la saisine du Conseil
constitutionnel à un groupe de 60 députés ou 60 sénateurs avait été qualifiée de « réformette » et ne méritant pas « un voyage à Versailles ». Elle fût pourtant par la suite largement utilisée
par tous les partis politiques, quelles qu’aient été leurs positions au moment de l’adoption de la révision. Les conditions d’adoption d’un texte sont indépendantes de son efficacité ou de ses
qualités intrinsèques. Nombre de critiques formulées à chaud risquent de retomber comme un soufflé, une fois passé les déclarations à caractère plus politique que juridique.
En second lieu, les critiques comme les louanges entourant la révision ont porté – pour ne citer que les principales - tantôt sur la transformation de l’équilibre des pouvoirs, tantôt sur la
présidentialisation du régime ou encore sur l’insuffisance de participation directe des citoyens à la vie politique française… Sans être complètement infondées, ces critiques se sont davantage
focalisées sur ce qui manquait au texte soumis à la révision que sur ce qu’il contenait ! Dès lors, il devenait aisé de souligner les insuffisances ou déficiences de la révision qui ne pouvait
logiquement pas embrasser l’intégralité des questions constitutionnelles en suspens. Il aurait fallu pour cela se poser la question de l’opportunité de la refonte de l’intégralité de la
Constitution. Cela constituait à n’en pas douter un autre débat… Au lieu de regarder le verre à moitié vide, il fallait aussi regarder le verre à moitié plein. Si l’ensemble n’est donc pas exempt
de critiques, et si l’on peut douter aujourd’hui du fonctionnement réel ou annoncé d’un certain nombre de mécanismes instaurés ou réformés par la révision, en revanche, l’ampleur de la réforme
est loin d’être négligeable… loin s’en faut ! Pour son cinquantième anniversaire, la Constitution de 1958 évolue sur un certain nombre de points critiqués dont la réforme était réclamée de longue
date par tous les partis politiques. Que l’on pense ici à l’article 11 ou à l’article 16, par exemple. La réforme constitue - en termes de nombre d’articles modifiés - la plus importante depuis
le début de la Vème République.
En troisième lieu, la révision constitutionnelle a surtout servi de prétexte à l’ensemble de la classe politique pour faire part de son appui ou de son mécontentement à l’égard des titulaires
actuels du pouvoir exécutif… La technique est fréquemment employée mais elle l’est ici à l’égard de la révision du texte fondamental. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a fort à
parier pour que cette caractéristique se soit retrouvée si l’adoption de la révision avait emprunté la voie référendaire… Ceci signifie que le contexte de la procédure a largement pris le pas sur
la substance de la révision et que même les parlementaires qui a priori possèdent une culture constitutionnelle plus développée n’échappent pas à cette tentation. On peut regretter ce glissement
qui aboutit à mélanger les genres et faire de la révision constitutionnelle un acte ordinaire de la vie publique ou un élément de stratégie de la vie politique…
En quatrième lieu, et pour s’intéresser un peu plus à la substance du texte révisé, il est vrai que la révision contient nombre de dispositions techniques dont la densité normative est inégale.
On peut juridiquement le regretter. Ceci est cependant inévitable à partir du moment où la révision n’est pas envisagée comme la solution d’un problème unique mais comme un ensemble destiné à
corriger les dérives ou les évolutions de la vie publique et politique française. De surcroît, la procédure même de révision implique inévitablement l’entrée en lice du débat politique à partir
du moment où le Parlement est impliqué dans le processus et amené à faire valoir son point de vue. Á cet égard, certains amendements sénatoriaux – malheureusement non retenus dans le texte final
– auraient à notre avis constitué des choix juridiquement plus opérationnels que certains ajouts retenus qui satisfont davantage les ego des certains qu’ils ne constituent la
reconnaissance de nouveaux droits.
En cinquième lieu, certaines des dispositions révisées peuvent laisser songeur quant à leur efficacité ou leur fréquence d’emploi. D’autres en revanche répondent à des critiques récurrentes.
Reste à savoir si le remède proposé sera suffisant pour éradiquer le mal… Rien ne permet de préjuger de l’efficience d’une disposition par anticipation ! Et le droit constitutionnel n’échappe pas
à cette tentation de l’expérimentation… à condition de ne pas considérer une disposition nouvelle comme intangible si elle ne produit pas les effets escomptés et avoir le courage de la modifier à
nouveau si elle s’avère inefficace, incomplète ou insuffisante. Une telle position est raisonnée et raisonnable mais – reconnaissons-le – incertaine dans ses résultats ! Et les conditions
d’adoption de la vingt-quatrième révision de la Constitution de 1958 risquent de laisser des traces dans les mémoires… Il n’est pas certain que la vingt-cinquième révision voie le jour très
prochainement. Le risque politique que représenterait un échec au Congrès est réel et faute de nécessité absolue, le parti au pouvoir risque ne pas vouloir engager sa survie politique sur une
nouvelle révision ! En conséquence, si certaines dispositions adoptées s’avèrent incomplètes ou inefficaces, il est probable que leur modification demeure difficile, voire improbable.
En sixième lieu, et pour sortir du cadre strictement européen, la révision qui vient d’être adoptée méritait certainement mieux en termes d’appréciation sur l’évolution constitutionnelle que le
sort qui lui a été réservée au moment de son adoption. Elle rapproche la Constitution française des Constitutions modernes sur un certain nombre de points, notamment en ce qui concerne
l’équilibre des pouvoirs ou encore en ce qui concerne la saisine du Conseil constitutionnel au cours d’un litige à l’initiative d’un citoyen. Non pas que l’imitation soit une mode à laquelle il
faille à tout prix céder mais tout simplement parce que le droit constitutionnel transnational des pays démocratiques revêt une certaine réalité. Paradoxalement, et c’est peut être l’un des
enseignements de cette dernière révision, il devient plus difficile de modifier la substance d’une Constitution qui est déjà mise en œuvre que d’en créer une entièrement nouvelle… Peut-être
y-a-t-il là une leçon à tirer en termes de résistance à l’évolution ! Toute proposition nouvelle apparaît souvent iconoclaste parce qu’elle dérange… avant qu’elle ne fasse progressivement son
chemin – plus ou moins long - pour apparaître comme une évidence et déboucher sur son adoption. Cette résistance au changement est également paradoxalement un gage de stabilité pour les
institutions. La nouveauté réside peut-être dans la plus grande difficulté à atteindre un équilibre entre la stabilité de la tradition et la nécessité de l’innovation. La vingt-quatrième révision
de la Constitution de 1958 dont la substance se situe plutôt dans le prolongement d’une évolution que dans une rupture de régime a généré des critiques portant davantage sur son incapacité
présumée à répondre aux défis nouveaux que sur une analyse rationnelle et objective des dispositions qu’elle contenait. Il faut garder à l’esprit qu’un régime politique ne peut pas seulement se
mesurer à l’aune d’une Constitution. La révision, garante pour les uns d’un accroissement des droits du Parlement, symbole emblématique pour les autres d’une hyper-présidentialisation du régime,
ne prend ni en compte le degré de charisme des différents titulaires du pouvoir, ni leur personnalité, ni les accords particuliers qui pourraient exister entre certaines formations politiques et
les représentants élus. En d’autres termes, si la Constitution influe inévitablement sur l’équilibre des pouvoirs, elle n’intervient pas seule – et de loin ! – pour en dessiner le véritable
visage politique. Mésestimer la portée de cette donnée serait une erreur et le plus parlementaire des régimes peut donner naissance à un pouvoir exécutif fort comme un régime présidentiel peut
être occupé par un titulaire de la charge suprême relativement « faible ».
Enfin, il faut garder à l’esprit que les révisions d’une Constitution font partie de sa « vie » mais qu’elles ne sont pas seules à modeler sa physionomie. La Constitution n’est qu’un cadre dont
la mise en œuvre importe autant que le texte lui-même. Le développement des « conventions de la Constitution » est inévitable dans une démocratie stable au risque de condamner le système
lui-même. La vingt-quatrième révision de la Constitution de 1958 n’échappera pas à ce baptême du feu qui révélera l’ampleur réel du changement. La digestion de ces innovations risque de prendre
un certain temps avant de pouvoir véritablement être en mesure de porter un jugement sur l’ampleur réelle de cette révision…