Décision sur les tests ADN : une occasion manquée
Article paru dans les Echos du 19 novembre 2007, p. 15
(consultable ici au format PDF)
:
BERTRAND MATHIEU (*)
Décision sur les tests ADN : une occasion manquée
Les conditions dans lesquelles il pourra être recouru à de tels tests rendent le dispositif quasi inapplicable.
Le contexte politique particulier qui entourait à la fois l'adoption de cette disposition par le législateur et l'intervention du
Conseil constitutionnel a paradoxalement contribué à masquer les enjeux juridiques essentiels du recours aux empreintes génétiques comme moyen de preuve, à titre subsidiaire, pour établir la
filiation dans le cadre du regroupement familial des étrangers. La validation de cette disposition par le Conseil, au prix d'un raisonnement complexe et de l'édiction de réserves
d'interprétation, peut masquer une certaine fragilité. En revanche, s'agissant de la question des « statistiques ethniques », également autorisées par la loi examinée, le Conseil fait preuve de
clarté et de fermeté en affirmant, sur le fondement de l'article 1 de la Constitution, que de telles statistiques, quel que soit le but poursuivi, ne peuvent prendre en compte l'origine ethnique
ou la race. Le juge constitutionnel reconnaît également, au détour d'un considérant, que le recueil et l'utilisation des caractéristiques génétiques (ce sont des tests à visée diagnostique ou
prédictive qui dévoilent les conditions génétiques pathologiques des personnes), en dehors du domaine médical, sont susceptibles de porter atteinte au principe de dignité de la personne humaine.
En revanche, le Conseil admet le recours à des empreintes génétiques (ce sont des tests génétiques qui permettent l'identification d'une personne ou de ses origines) comme moyen de preuve de la
filiation génétique, dans le cadre du regroupement familial des étrangers.
Discriminations génétiques
Son analyse est, schématiquement, celle-ci : la disposition législative critiquée n'établit pas de discrimination entre les
différentes formes de filiation, puisqu'elle les reconnaît également, en fonction de la législation du pays d'origine ; par ailleurs, la loi ne vise que l'établissement de la filiation génétique,
du fait même que les tests génétiques ne sont propres qu'à établir ce type de filiation. C'est à ce niveau du raisonnement qu'il est permis de se séparer du Conseil. En effet, un enfant
biologique et un enfant adopté sont dans la même situation au regard de l'objet de la loi, à savoir le regroupement familial, mais ils sont traités différemment au regard de la preuve. La preuve
génétique, admise pour les uns, est nécessairement exclue pour les autres. Ainsi un enfant dont l'état civil ne peut être établi avec certitude et qui ne peut apporter la preuve d'une possession
d'état pourrait recourir à la preuve par test génétique, alors qu'un enfant adopté, dont les actes relatifs à son adoption ont été perdus, et qui ne peut pas apporter la preuve de sa filiation
par possession d'état, pourrait ne disposer d'aucun moyen d'établir sa filiation. Ainsi, il est permis de voir dans cette différence de traitement une discrimination en fonction des origines
génétiques. Certes le raisonnement qui conduit à identifier la discrimination est assez constructif, elle n'en est pas moins réelle. On ne reprochera cependant pas au Conseil de ne pas avoir vu
une discrimination, là où certains ont cru en distinguer une. Au surplus, les conditions dans lesquelles il pourra être recouru à de tels tests rendent le dispositif quasi inapplicable. On peut,
honnêtement, estimer qu'une telle mesure ne va pas, concrètement, constituer une violation grave des droits des personnes qui sont susceptibles d'y être soumis.
Mais comment ne pas voir que les discriminations génétiques sont susceptibles de constituer, à terme, l'une des plus graves
atteintes au principe d'égalité ? Le Conseil s'est refusé à voir dans les discriminations en fonction des origines génétiques une discrimination fondée sur les origines au sens de l'article 1 de
la Constitution. La race, notion aujourd'hui scientifiquement contestée, renvoyait à l'apparence physique, là où la science renvoie à l'identification génétique. On peut d'ailleurs s'en
convaincre lorsque l'on sait que des recherches fondées sur l'identification génétique sont menées aux fins de tenter d'établir l'origine géographique, fût-elle très lointaine et remontant à de
nombreuses générations, des individus. L'on peut comprendre que la prudence ait incité le juge à ne pas censurer. On aurait attendu que, saisi pour la première fois de cette question, il pose un
principe fondé sur l'article 1 de la Constitution, justement invoqué par ailleurs, en affirmant, par exemple, que « l'identification génétique d'une personne ne peut conduire à une
discrimination fondée sur ses origines ». La question de savoir s'il y avait, ou non, en l'espèce, discrimination était seconde. Parfois de petites affaires font naître de grandes décisions,
ce n'est pas ici le cas.
(*) Professeur à l'université Panthéon-Sorbonne Paris-I, directeur du Centre de recherche de droit
constitutionnel.
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