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La rétention de sûreté partiellement censurée par le Conseil constitutionnel

21 Février 2008 , Rédigé par Didier RIBES Publié dans #Justice constitutionnelle

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Le 11 février 2008, plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs ont saisi le Conseil constitutionnel de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pour cause de trouble mental.

 Le texte de la saisine conteste la constitutionnalité de l’ensemble de la loi et plus particulièrement celle des articles 1er, 3 et 12.
La question essentielle est de savoir si la rétention de sûreté est une sanction à caractère répressif ou une mesure de sûreté à caractère préventif. Pour les auteurs de la saisine, cette mesure constitue une sanction car elle est une peine prononcée par une juridiction ; elle est fondée sur l’appréciation de la « particulière dangerosité » de personnes souffrant d’un trouble grave de la personnalité et entraîne une privation de liberté. En conséquence, les garanties de l’article 8 de la DDHC doivent être appliquées. Les requérants invoquent la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, de la nécessité de speines et du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. La rétention de sûreté serait également contraire à la présomption d’innocence garantie par l’article 9 de la DDHC puisqu’elle conduit à « ses saisir d’un individu et l’arrêter sur une présomption de dangerosité, sans qu’une culpabilité quelconque puisse être établie à son égard ».
Selon la saisine, l’article 3 relatif à l’irresponsabilité pénale en raison d’un trouble mental est jugé contraire à la présomption d’innocence du prévenu mais également à celle des éventuels co-auteurs, non concernés par l’application de l’article L 122-1 du code pénal et qui doivent répondre de leurs actes devant une juridiction de jugement. Par ailleurs, cet article serait contraire au principe de séparation des fonctions judiciaires.
Enfin, l’article 12 de la loi méconnaîtrait le principe de l’indépendance des juridictions judiciaires en subordonnant la libération conditionnelle de la personne condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité à l’ « avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté ».
 
Le syndicat de la magistrature a remis le 11 février des observations (consultables ici) au Conseil constitutionnel. Le syndicat des avocats de France a également déposé un mémoire au soutien du recours.

Par ailleurs, plusieurs professeurs d'université, magistrats et avocats ont publié dans le journal Libération du 18 février 2008 une lettre ouverte aux membres du Conseil constitutionnel.

Le 19 février, le Conseil national des barreaux (CNB), la Conférence des bâtonniers et l'Ordre des avocats de Paris ainsi que l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) ont remis au Conseil constitutionnel des observations expliquant leur opposition à la loi Dati sur la rétention de sûreté. C'est la première fois qu'avocats et magistrats se liguent pour faire valoir leurs arguments devant le Conseil constitutionnel. Le document d'une quinzaine de pages entend démontrer que la loi telle qu'elle a été votée « ne respecte pas un certain nombre de principes constitutionnels en matière pénale ». Les organisations contestent en particulier le caractère de « mesure de sûreté » à la rétention de liberté. « La mesure sur la rétroactivité et le principe même voulant qu'on puisse enfermer quelqu'un pour quelque chose qu'il n'a pas fait sont inconcevables », précise David Lévy, responsable du pôle juridique du CNB : « En tant que sanction privative de liberté appliquée à une infraction inexistante, la rétention de sûreté est contraire à la Constitution. »

Le Conseil constitutionnel a fait savoir que sa décision serait rendue le jeudi 21 février 2008. Le Parisien a publié le même jour une liste présentée comme "confidentielle" recensant 32 détenus "dangereux et détaillant trois cas de violeurs, à l'exception de leur nom de famille, libérables d'ici 2010 et susceptibles d'être concernés par la rétention de sûreté s'ils étaient estimés "dangereux". Ce n'est pas "une liste secrète". Elle fait partie "des documents de travail qui ont servi à réaliser une étude d'impact pour élaborer la loi" et "nourrir la réflexion" à partir "de cas concrets", a assuré à l'AFP le porte-parole de la Chancellerie Guillaume Didier. e ministère de la Justice a démenti jeudi vouloir exercer des pressions sur le Conseil constitutionnel qui doit statuer sur la constitutionnalité du texte sur la rétention de sûreté à la suite de la publication par "Le Parisien" d'une liste de criminels dangereux qui pourraient être placés dans les centres de rétention de sûreté. "Qui peut penser que le Conseil constitutionnel puisse être soumis à des pressions? Ils sont les seuls à juger en droit et seulement en droit", a déclaré le porte-parole du ministère de la Justice, Guillaume Didier. Cette liste a été élaborée par la direction de l'Administration pénitentiaire à la demande du ministère de la Justice sur les détenus condamnés à des peines supérieures ou égales à quinze ans pour de multiples crimes et jugés particulièrement dangereux, précise la place Vendôme. Une liste que les parlementaires, qui ont adopté la loi, n'ont pas eu entre les mains. "Redoutant manifestement une censure, la Chancellerie se croit autorisée à 'placer les membres du Conseil constitutionnel devant leurs responsabilités'", accuse jeudi le Syndicat de la magistrature dans un communiqué en s'insurgeant "contre ces intimidations inacceptables".


Le Conseil constitutionnel s’est prononcé par sa décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008.
Selon le communiqué de presse du Conseil constitutionnel : 

1 – Ce texte crée une mesure de rétention de sûreté. Celle-ci concerne, à titre exceptionnel, les auteurs de certains crimes très graves pour lesquels il est établi, à la suite d’examens médicaux, qu’ils présentent, à la fin de l’exécution de leur peine, une « particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’ils souffrent d’un trouble grave de la personnalité ». 

La loi déférée prévoit qu’au terme d’une procédure contradictoire, une juridiction régionale de la rétention de sûreté peut prononcer le placement des intéressés en centre socio-médico-judiciaire de sûreté. Il leur y est proposé une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de la rétention de sûreté. 

Le Conseil constitutionnel a relevé que la rétention de sûreté n’est pas ordonnée par la cour d’assises lors du prononcé de la condamnation mais à la fin de la peine par la juridiction régionale de rétention de sûreté. Par ailleurs, cette mesure repose, non sur la culpabilité de la personne condamnée par la cour d’assises, mais sur sa particulière dangerosité appréciée à la date de sa décision par la juridiction régionale. Ainsi, la rétention de sûreté, n’étant pas prononcée par la juridiction de jugement et n’ayant pas une finalité répressive, ne réunit aucun des deux critères de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la définition de la peine. Appliquant cette jurisprudence, le Conseil constitutionnel a jugé que la rétention de sûreté n’est pas une peine. Dès lors les griefs tirés de la méconnaissance de l’article 8 de la Déclaration de 1789 étaient inopérants. 

Toutefois, la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement. Dès lors, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les alinéas 2 à 7 du I de l’article 13, son II et, par voie de conséquence, son IV. 

La surveillance de sûreté est en revanche immédiatement applicable dès la publication de la loi aux personnes condamnées pour les crimes très graves prévus par la loi lorsqu’elles sortent de prison. Elle comporte diverses obligations, notamment le placement sous surveillance électronique mobile ou l’injonction de soins. Si l’intéressé méconnaît les obligations qui lui sont imposées dans le cadre de cette surveillance de sûreté, il pourra, en urgence, être placé en rétention de sûreté s’il fait apparaître qu’il présente à nouveau une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de commettre à nouveau l’une des infractions très graves inclues dans le champ de la loi. 

Exerçant son contrôle sur la rétention de sûreté, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif prévu par la loi sous la réserve que les personnes concernées aient pu bénéficier, pendant l’exécution de leur peine, des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre. 

2 – La loi déférée comportait également des dispositions relatives à l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. 

Le Conseil constitutionnel a jugé que la mention au casier judiciaire de la déclaration d’irresponsabilité pénale, qui ne revêt pas le caractère d’une sanction, portait une atteinte excessive à la protection de la vie privée sauf dans le cas où des mesures de sûreté ont été prononcées à l’encontre de l’intéressé. 

3 – La loi subordonnait à l’avis favorable d’une commission administrative (la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté) le pouvoir du tribunal de l’application des peines d’accorder la libération conditionnelle à des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Cette orientation méconnaissait le principe de la séparation des pouvoirs et celui de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le Conseil a donc limité le rôle de la commission à celui d’un simple avis.

Alors que le Conseil constitutionnel a censuré le caractère rétroactif de la loi sur la rétention de sûreté, Nicolas Sarkozy a néanmoins chargé vendredi soir le Premier président de la Cour de cassation de lui faire des "propositions" pour atteindre "l'objectif" d'une "application immédiate" de cette peine "aux criminels déjà condamnés".

Aux yeux du chef de l'Etat, "l'application immédiate de la rétention de sûreté aux criminels déjà condamnés, qui présentent les mêmes risques de récidive, reste un objectif légitime pour la protection des victimes", selon un communiqué de son porte-parole David Martinon. Dès lors, le président "a demandé au Premier président de la Cour de cassation d'examiner la question et de faire toutes les propositions nécessaires pour l'atteindre".

M. Vincent Lamenda se voit donc chargé de trouver les moyens de contourner la censure du Conseil constitutionnel, qui a estimé jeudi que la rétention de sûreté ne pouvait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi.

"C'est incroyable que le président de la République, qui est le garant de la Constitution, demande au plus haut magistrat de France, le Premier président de la Cour de cassation, un moyen de contourner la décision du Conseil constitutionnel!", s'est insurgée la présidente du Syndicat de la magistrature (SM, gauche), Emmanuelle Perreux.

Le président de l'Union syndicale des magistrats (USM) affichait la même incrédulité. "Le travail du Premier président de la Cour de cassation n'est pas de rédiger des projets de loi", a rappelé Bruno Thouzelier, estimant que le Conseil constitutionnel "ne va pas revenir sur des principes qu'il vient de poser"...

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J'avoue que l'actualité du jour me laisse dubitatif. Quel mécanisme la Cour de cassation peut-elle trouver pour appliquer un dispositif censuré par le Conseil constitutionnel ? L'initiative du Chef de l'Etat de se rapprocher de la Cour est ambigue. Ses proches, et lui-même, ont certifié qu'il ne s'agissait aucunement de discuter la décision du Conseil : mais comment l'interpréter autrement ?
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